Dix thèses pour l’unité de notre pays

Analyse
Author
David Pestieau, Vice-président du PTB
ptb.be

Certains partis politiques ont l’intention de scinder davantage notre pays en 2024 et d'opposer les Bruxellois, les Wallons et les Flamands. Mais la grande majorité des Belges en ont plus qu’assez de la division de notre pays et veulent au contraire plus de coopération, plus de solidarité et plus d'unité.

Ce qui nous unit nous rend plus forts ; ce qui nous divise nous affaiblit. La classe travailleuse de notre pays le sait depuis longtemps. Ensemble, ceux et celles de Liège, Gand, Bruxelles, Charleroi, Anvers et toutes les autres régions ont construit le mouvement ouvrier de notre petit pays. Et ont construit les richesses de notre société et rendu possible une sécurité sociale forte.

Nous construisons ensemble un mouvement pour l'unité de notre pays, contre la menace d’une scission. La scission de notre pays est antisociale, coûteuse, absurde et brutale. Plus d'unité est social, moins cher, efficace et humain. C'est pourquoi nous voulons que l'État fédéral redevienne le centre de gravité de notre pays.

Nous sommes un. Wij zijn één.

2024 sera un moment de basculement pour notre pays

2024 est un moment de basculement possible. Après les élections qui se tiendront cette année-là, les partis séparatistes veulent scinder notre pays en deux ou trois parties. Une partie croissante du Voka, l'organisation patronale du nord du pays, les encourage dans cette voie. Diviser pour mieux régner, voilà qui affaiblirait la classe travailleuse de notre pays et profiterait à l'establishment.

Notre pays a connu six réformes de l'État. Ou plutôt des déformations de l'État, car leur bilan est désastreux. Elles ont été néfastes pour la politique du pays. Les institutions sont devenues plus complexes et le gaspillage est considérable. Les gouvernements flamand, wallon et bruxellois ne fonctionnent pas mieux que l'État fédéral. Cela prend seulement plus de temps et cela coûte plus d’argent.

Ce pays a souvent besoin de dizaines de comités de concertation et de conférences interministérielles avant qu'une décision ne soit prise. Il compte six gouvernements, avec plus de cinquante ministres et secrétaires d'État. Nous avons quatre ministres de la Mobilité, tous bloqués dans les embouteillages. Nous avons quatre ministres chargés de la lutte contre la pauvreté, mais la pauvreté infantile augmente d'année en année. Et pendant la pandémie de Covid-19, neuf ministres de la Santé se sont marché les uns sur les autres, au lieu de mener une politique efficace et centralisée. C'est fou, non ?

Les réformes de l'État ont conduit à un fédéralisme de la concurrence où on monte une Région contre une autre. Cela ne fonctionne pas. Le statu quo n'est pas une option. Ça peut aller dans deux directions opposées.

Une direction est celle de la scission du pays à partir de 2024, brutale ou par étapes. C'est ce que veulent les nationalistes de droite et les séparatistes . Cela fait cinquante ans qu’ils poussent le pays vers toujours plus de division. Pour 2024, ils gardent deux options en réserve :

  • soit une scission directe avec un coup de force des séparatistes et la proclamation d'indépendance par une Flandre d'extrême droite ;

  • soit l'instauration du confédéralisme, comme étape ultime avant la scission. Dans ce confédéralisme de division, tout ce qui reste de l'État fédéral devient une coquille vide, avec seulement l’autorité sur la dette nationale, les pensions, l'armée, les affaires étrangères, la SNCB (chemins de fer) et quelques autres entreprises publiques. Le parti nationaliste N-VA espère entraîner dans ce scénario le Parti socialiste, qui adopte une position de plus en plus régionaliste , ainsi que Vooruit (parti sociaux-démocrate flamand), le CD&V et d'autres partis. Le confédéralisme est l'étape ultime vers la scission complète du pays, et il a été conçu comme tel par les séparatistes.

Mais cela peut aussi aller dans l’autre direction. Ainsi, la majorité des Belges, dans les trois Régions du pays, continuent à s'opposer à la scission du pays. Nous voulons, avec beaucoup d'autres, orienter le pays dans cette autre direction : vers plus de coopération et d'unité, au lieu de plus de concurrence et de division. Ainsi nous mettons fin à la confrontation, au gaspillage et à la politique du « diviser pour régner ». Nous sommes pour un fédéralisme d’unité, social, efficace, humain et moins coûteux dans notre pays. Car c'est dans l'intérêt de la classe travailleuse, de la jeunesse et de tous les citoyens de notre pays.

Une scission nous rendrait plus faibles

Le moteur et le financier de l'idée de scission, c’est le patronat flamand agressif venant des milieux de l’organisation patronale du Voka et de la banque KBC. Il veut mettre fin à notre sécurité sociale fédérale forte et aux syndicats nationaux puissants et aux mutuelles, et diviser la sécurité sociale afin de construire une propre « sécurité flamande » conditionnelle. Il veut scinder le droit du travail et les conventions collectives, afin de renforcer la position du grand patronat. Il veut une « propre politique sociale » qui soit totalement subordonnée à la position concurrentielle de la nouvelle élite économique. Il veut des syndicats qui peuvent encore un peu crier, mais ne peuvent plus mordre. C’est très clair : ce projet séparatiste sert à diviser la classe travailleuse. La scission ne vise pas seulement l'économie - plus de dérégulation, de privatisation et d'exploitation - mais aussi l'idéologie, la politique et la culture : il vise à avoir une classe travailleuse soumise qui s’aligne sur la vision du monde de la classe dirigeante. La Flandre indépendante ou confédérale doit, à leurs yeux, devenir une région réactionnaire pro- patronale.

Une scission antisociale

Toutes les organisations patronales font de plus en plus pression pour obtenir une nouvelle réduction des cotisations sociales sur nos salaires. Cela va de pair avec la privatisation de l'assurance maladie, des soins aux personnes âgées et des pensions. Le résultat est que chacun est poussé à prendre une assurance privée individuelle et que les grandes compagnies d'assurance peuvent ainsi s'enrichir aux dépens des pensionnés, des malades et des personnes âgées.

Avec la sécurité sociale fédérale, les employeurs se heurtent à une résistance nationale contre ce démantèlement. Le Voka veut scinder la sécurité sociale pour briser cette résistance et privatiser partiellement la sécurité sociale. Cela coûterait cher à la classe travailleuse. En premier lieu, le Voka se bat pour la scission complète des soins de santé et de la politique de l'emploi (avec les allocations de chômage). Il sait qu'une fois ces pierres angulaires retirées, tout l'édifice pourrait s'effondrer.

Une seule grande sécurité sociale est moins chère que deux ou trois petites, car les coûts de gestion et d'administration sont répartis sur un groupe plus important de personnes qui y contribuent. Une scission brise également la solidarité entre les différentes parties du pays.

Ce qui s'est passé avec les compétences qui ont été transférées aux Régions montre très bien qu'une politique sociale structurelle n'est pas une priorité. Bien au contraire. Il suffit de penser aux listes d'attente pour les personnes atteintes de handicap ou pour les logements sociaux.

La solution proposée par les partis sociaux-démocrates lors des négociations gouvernementales avec les nationalistes en 2020 - scinder les soins de santé et la politique de l'emploi, mais maintenir le financement de la sécurité sociale au niveau fédéral - est dangereuse. Car avec des politiques différentes dans les Régions, la pression pour scinder également le financement deviendra très vite ingérable. Nous entendrons très bientôt la chanson bien connue qui clame que la Flandre « ne doit pas payer pour la mauvaise gestion des francophones ». Non, cette solution n’en est pas une. Elle ne fait qu'ouvrir la voie à un confédéralisme de division, précurseur de la scission du pays.

Une scission coûteuse

La scission donnera naissance à un nouvel appareil d'État, avec son armée de politiciens et de fonctionnaires, ses lois et ses règlements. Et cela pour un tout petit territoire. Toutes les économies d'échelle seront perdues, alors que notre pays est à peine plus grand qu’un petit pois sur la carte du monde. Tout aussi cher sera un confédéralisme de division qui entraînerait des transferts massifs de compétences.

La sixième réforme de l'État est en place depuis dix ans, mais elle n'est toujours pas digérée. Une scission directe ou un confédéralisme de division seront des processus sans perspective qui prendront au moins deux générations.

Une scission absurde et brutale

Il est absurde de scinder la justice et la police alors que la criminalité devient plus complexe et internationale et que la coordination entre les services de sécurité se fait déjà difficilement. Il est absurde de diviser les soins de santé pour lutter contre des maladies et des pandémies qui traversent sans problème les frontières linguistiques.

La scission du pays est aussi irréaliste que le confédéralisme de division. En effet, dans ces scénarios, il n'y a pas l'ombre d'une solution viable pour Bruxelles, où vivent ensemble des francophones, des néerlandophones et des personnes parlant de nombreuses autres langues, et où un quart de million de Flamands et 140 000 Wallons viennent travailler chaque jour. Bruxelles ne peut être divisé, ni co-géré de l'extérieur, à moins d'instaurer un apartheid qui conduirait à des conflits sans fin, à des tensions et, finalement, à la violence.

Après la scission, les séparatistes du nord du pays veulent imposer une identité étroite aux régions divisées. Une identité qui rejette tous ceux qui ne rentrent pas dans le « canon » flamand : le migrant, le Wallon, mais aussi le malade « passif », le chômeur ou le pensionné, l'artiste critique, le militant engagé. Une identité imposée de manière brutale qui mène à la censure et à une forme d'État autoritaire.

Plus d'unité nous rend plus forts

Notre pays est un carrefour au cœur de l'Europe : industriel, technologique et logistique ; un pays d'émigration et d'immigration.

Chaque culture est divisée entre celle qui veut que tout reste comme avant et celle qui prône l’émancipation et le progrès. La culture unique n’existe pas, une tradition unique non plus. Chez nous non plus. Nous n’appartenons pas à la « Belgique à papa », la Belgique qui faisait travailler les enfants dans les mines, la Belgique de Léopold II et de la colonisation, de la Société générale, de la collaboration et de la discrimination, des magouilles et de la corruption.

Nous défendons notre propre histoire, nous l’avions déjà dit quand nous avons organisé pour la première fois ManiFiesta, en 2010 à Bredene-sur-Mer. Notre histoire est une histoire commune aux Flamands, Wallons et Bruxellois. Qui a fondé les premiers syndicats ? Pas les nationalistes flamands, mais les ouvriers du textile de Gand et de Courtrai. Qui a apporté l'esprit de lutte dans le mouvement ouvrier ? Pas les séparatistes, mais les mineurs du Borinage. Qui a formulé les premières revendications de la classe ouvrière ? Pas les régionalistes, mais les ouvriers et artisans de Bruxelles. Et ensemble - ceux de Gand, du Borinage et de Bruxelles -, ils ont créé le mouvement ouvrier qui a fait de l'émancipation des couches populaires une réalité et a créé notre identité. C’est le mouvement ouvrier qui a fait respecter l'interdiction du travail des enfants et l'interdiction des journées de travail de 12 heures. Il a instauré les congés payés. Il a construit la sécurité sociale brique après brique. Nos grands-parents ont obtenu des résultats parce qu'ils étaient unis et parce qu'ils ont osé mener la lutte.

Aujourd'hui, ceux qui jettent de l'huile sur le feu disent que mieux vaut nous séparer. Qu'il y a trop de problèmes. Mais ces affirmations viennent de gens extérieurs, de séparatistes professionnels qui n'ont rien fait du tout pour la sécurité sociale. Pourquoi devrions-nous maintenant les laisser démolir cette sécurité sociale ?

À l'horizon 2024, nous avons besoin de plus d'unité. Face aux multinationales qui traversent toutes les frontières nationales, il est important pour la classe travailleuse d'être internationaliste, et donc antinationaliste.

En renforçant l'unité en Belgique, nous construisons l'unité de la classe travailleuse au-delà des frontières nationales. C'est l’optique à partir de laquelle nous combattons à la fois le séparatisme et le régionalisme. L’establishment a intérêt à diviser la classe travailleuse. Dans un territoire plus réduit, la classe travailleuse est affaiblie. Dans un territoire plus petit, il est plus difficile pour les travailleurs de Liège, d’Anvers et de Bruxelles d’apprendre les uns des autres et de se renforcer mutuellement. Et il est plus facile de les monter les uns contre les autres, d’essayer d’attiser les préjugés de sorte qu’ils se replient sur eux-mêmes. L'histoire montre que ceux qui sont divisés ne peuvent pas gagner.

On ne peut gagner que si nous réussissons à unir les travailleurs, même s’ils ont des origines différentes, même s’ils ont grandi dans des endroits différents, même s’ils ont des traditions culturelles et sociales différentes. La langue que nous parlons n’est pas la langue de l’argent et de l’égoïsme froid. C’est la langue du travail et de la solidarité.

Refaisons de l'État fédéral le centre de gravité de la Belgique

Nous voulons empêcher les nationalistes et les régionalistes des deux côtés de la frontière linguistique de prendre des mesures décisives en vue de la scission. Nous voulons aller dans l'autre sens, avec des mesures qui vont à l'encontre de la logique de scission des précédentes réformes de l’État.

Dans notre pays, l'État fédéral, les Communautés et les Régions décident les uns à côté des autres. Les lois fédérales sont au même niveau que les décrets et ordonnances des Régions ou des Communautés. Il n'y a pas de norme établie, pas de hiérarchie. Comme l'a montré la crise du coronavirus, cela conduit en permanence à des obstacles et des blocages.

Tout État fédéral digne de ce nom possède un ensemble de normes, une hiérarchie. En Allemagne par exemple, le gouvernement fédéral fixe le cadre pour les différents Länder (Régions). C’est plus efficace, entraîne moins de gaspillage et surtout moins de conflits. Le gouvernement fédéral doit garantir l'égalité de tous les habitants. Il doit être habilité à promulguer des lois qui garantissent des conditions de vie égales dans tout le pays, avec des droits égaux pour tous.

L'État fédéral fournit le cadre et fixe les grandes orientations et les normes dans les domaines clés. C'est indispensable pour assurer la cohérence des grands plans d'investissement publics qui sont nécessaires pour relever les défis sociaux et climatiques et lutter contre les inégalités de développement entre les Régions.

Nous voulons refédéraliser et ramener au niveau national les politiques de santé, de climat, de mobilité et d'énergie, mais aussi d'économie, d'emploi, de numérique et d'investissement public. Nous voulons une sécurité sociale fédérale à part entière. Et une loi de financement plus solidaire.

Pour notre pays, il s'agit d'un changement fondamental. Le centre de gravité de la décision politique doit revenir au niveau fédéral. La mise en œuvre de celle-ci et les applications concrètes adaptées aux réalités du terrain seront plutôt portées par les Régions.

De ce point de vue, le droit de l'État fédéral doit primer sur le droit des Régions, comme en Allemagne. Lorsque les intérêts des Régions menacent de bloquer le pays, il faut un arbitre qui puisse trancher le nœud. Seul l'État fédéral peut se charger de cette tâche.

Cela doit aller de pair avec une simplification des structures. Nous voulons délimiter les Régions sur base des critères suivants : les relations économiques, les relations sociales et la composition linguistique. Les habitants tirent leurs droits du fait qu'ils habitent dans une Région particulière, et non du fait qu'ils appartiennent à une communauté linguistique particulière.

Dans notre pays, nous manquons de mécanismes politiques unificateurs. Par exemple, nous avons besoin d'une circonscription fédérale pour les élections nationales afin que les représentants soient élus par l'ensemble de la population, et pas seulement par les habitants d'une Région. Les ministres de l’État fédéral agissent pour tout le pays et sont responsables de leur politique devant tous les électeurs du pays.

Nous défendons un fédéralisme d’unité social, efficace, humain et moins cher.

Plus d'unité est social

Le niveau fédéral est le mieux placé pour organiser la redistribution des richesses : avec une fiscalité équitable, une sécurité sociale forte et des services publics forts. Celui qui scinde tout, obtient plus de concurrence entre les Régions, et un démantèlement de ce qui est essentiel.

Dans le domaine des assurances, on sait que les risques sont mieux couverts lorsque le groupe de cotisants est plus important. C’est la même chose pour la sécurité sociale avec les pensions, l'assurance chômage, l'assurance maladie et invalidité et l'assurance contre les accidents du travail. En plus, l'unité de la sécurité sociale au niveau fédéral, avec une administration unique, offre le meilleur rapport qualité-prix et garantit le caractère public de ce système et de son financement.

La plus grande partie des impôts doivent être collectés au niveau fédéral. Mais ces recettes doivent être redistribuées en fonction des différents niveaux de pouvoir suivant une clé de répartition qui réponde aux besoins. Comme dans les autres pays fédéraux, les mécanismes de redistribution doivent réduire l'écart entre les régions les plus riches et les régions les plus pauvres et garantir l'accès de tous les citoyens à des services publics comparables.

Plus d'unité est moins cher et plus efficace

La superficie de la Belgique est inférieure à celle de la plupart des Länder allemands. Londres compte plus d'habitants que la Belgique et a un seul conseil communal et un seul bourgmestre. Cela pourrait donc être, chez nous, bien plus simple et bien moins coûteux qu'aujourd'hui. Nous pouvons ainsi réduire de plus d'un tiers le nombre de ministres et de secrétaires d'État.

Nous voulons refédéraliser les compétences pour lesquelles la régionalisation a prouvé son échec. Seules les compétences pour lesquelles la régionalisation représente réellement une valeur ajoutée en termes de démocratie et d'efficacité seront prises en charge par les Régions.

Bruxelles, la capitale, se trouve au carrefour du pays. La ville est une région bilingue en soi. Bruxelles fait partie de la solution. Pour les défis qui dépassent la Région bruxelloise mais qui sont liés au rôle de Bruxelles comme capitale fédérale, c’est l’État fédéral qui donne les grandes orientations. Le gouvernement fédéral veillera à la protection des minorités néerlandophones et francophones dans la capitale et dans la périphérie.

Plus d’unité est humain

Pourquoi enfermer les gens dans une identité flamande ou wallonne étroite ? Le caractère multilingue de notre pays est un atout dans l'Europe d'aujourd'hui. Le croisement des influences latine et germanique a caractérisé notre pays et continue de le faire. Cela fait partie intégrante de notre identité belge. On ne peut amputer cette identité sans l'appauvrir. Une amputation est brutale. Nous défendons une Belgique unie, multilingue et dotée d'un fédéralisme d’unité qui pourrait avoir fonction d'exemple pour l'Europe multilingue.

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